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Les
vieillards chez leurs petites surs.
Deux heures. Un soleil
brûlant. En bas un coup de mine. Puis deux, trois qui se suivent.
Des blocs de pierre sautent. Pour bâtir une ville exubérante
de force juvénile.
Plus haut, enveloppé par l'ombre d'un olivier trapu, dort un vieux
berger. Autour, des aloès, allongeant leur cou fin, ouvrent des
yeux curieux ; ils montent la garde.
Encore plus haut, dans un cirque de montagnes abrupt, sur le chemin, à
gauche, une niche, à droite une fente. Dans la niche une cruche,
couverte, suintant d'eau glacée, et un gobelet. Au pauvre passant
altéré. Au-dessus de la fente, longue et étroite,
en lettres humbles, "Bénie soit la main qui met une obole
pour les pauvres". Au Samaritain qui passe. Son obole, la moitié
de son pain, n'entre pas par la fente. Il frappe à une porte.
Une vieille, le sourire un peu gêné, sort d'un couloir, haut,
large, frais, propre. L'accueil de l'hospitalité. Au fond du couloir
un rideau. Inutile de le soulever : derrière lui veille un cur,
en flamme. Cherchez celle-ci dans la pénombre des couloirs croisant
celui d'entrée. Elle y rejaillit de seize poitrines portant le
deuil de leur propre vie ; les pauvres les appellent leurs petites surs.
Elles sont là depuis la fleur d'âge ; leurs 90 frères
et 60 surs dans la maison que nous visitons ont au moins 60 ans.
Elles, les petites surs sont venues de Bretagne; leurs frères
et surs aînés s'étaient égarés
en Afrique. Tous sont heureux de s'être retrouvés ; les cadettes
dorlotent les aînés pour leur faire oublier la longue séparation.
De la même famille, ils sont tous pauvres, mais les surs cadettes
sont très courageuses et débrouillardes.
Elles attellent des petits mulets, et en route pour Alger et ses environs
où il y a tant de braves gens. Aux restaurants tant de croûtes
de pain sont jetées ; le marc de café aussi. On va faire
des croûtons pour la soupe et allonger le café. Les vieillards
en sont si friands. Les chiffons, les restes de fil, bariolés,
ne les jetez pas. Les vieilles ont ouvert un concours ; gagnante est celle
qui aura trouvé le plus pittoresque arrangement de couvre-pieds.
Aux hommes les chaussettes étalant toutes les variantes de l'arc-en-ciel.
La couleur n'y joue pas, pourvu que cela chauffe en hiver. Les faux-cols
démodés que vous ne mettrez jamais plus ? Les vieux ne peuvent
pas s'en tordre le cou non plus. Alors on découpe des fleurs ;
avec un peu de teinture on crée un décor domestique. Vous
voyez, nous savons utiliser tout ; nous ne refusons rien. Et en hiver,
les vieux et les vieilles grelottent. Ils n'ont pas assez de charbon de
bois pour se chauffer. Ne parlons pas de chauffage central. Du moins,
qu'un manteau puisse les protéger. Les vieux sont si contents lorsqu'un
costume de dimanche leur rappelle des jours heureux, malgré qu'ils
soient souvent arrivés à l'asile, couverts de loques et
de vermine. On n'aspire pas au luxe, même pas au beurre, par exemple.
On n'en achète jamais.
Les petites surs ne sont pas inquiètes - du moins ne s'en
donnent-elles pas l'air afin de ne pas troubler la quiétude de
leurs aînés - que la subsistance puisse manquer à
ceux-ci. Elles s'en priveraient elles-mêmes, mangeraient des herbes
s'il fallait, et comme elles l'ont fait, des fois, lorsque l'Algérie
n'était pas encore riche.
Elles ne refusent personne, âgé de plus de 60 ans, pourvu
qu'il porte l'estampille des pauvres, qu'il soit sans ressources suffisantes
à sa subsistance, sans égard à sa capacité
de travail, son infirmité (il se trouve une dizaine d'aveugles
à l'asile), sa nationalité, sa race, sa religion.
L'hospice comprend : un bâtiment principal pour les hommes, un tel
pour les femmes, les deux se joignant par une chapelle destinée
à l'usage commun ; de même pour celui-ci les dépendances,
le jardin, les champs, le cimetière. Dans chaque bâtiment
principal il y a une infirmerie pour recevoir les malades et infirmes
; elle est située, pour la commodité de ceux-ci, à
l'étage inférieur. Un médecin généreux
y vient régulièrement donner des consultations et des soins
gratuits. Les malades et infirmes, d'un côté, les valides
de l'autre ont leurs réfectoires, terrasses, dortoirs.
La nourriture, servie par les surs et par 3 repas journellement,
est appropriée, saine, abondante, variée. On donne un vin
léger, des fois le dimanche un morceau de poulet à chacun.
Une petite porcherie et un important poulailler tous deux aux dépendances,
sont mis à contribution. 50 kilos de pain et 30 litres de lait
par jour viennent du dehors. A chaque réfectoire se joignent un
fumoir (pour les hommes), un boudoir (pour les femmes), des terrasses,
d'où une vue magnifique s'étend, le long du Beau-Fraisier
jusqu'à Alger et la mer.
Les hommes reçoivent des pipes, du tabac, des cigarettes. Les fumoirs
ou boudoirs contiennent des fauteuils avec des coussins, des jeux de cartes,
de la lecture. Pour les malades et infirmes : des fauteuils à roulettes.
Soit à ces endroits, soit à la cour, des amitiés
se nouent, des confidences se font et l'ennui est chassé loin.
A 9 heures du soir tout le monde est couché dans des dortoirs spacieux
; chacun à son bon lit, en hiver avec édredon. A 7 heures
du matin on est levé, parce qu'il est l'heure du grand bol de café
au lait. Tous les samedis soir chacun trouve au pied de son lit un paquet
contenant tout le linge qu'il lui faudra pour la semaine : deux serviettes
et un bonnet de nuit n'y manquent pas. Mais à la Réserve
chacun aura des vêtements qu'il portera lorsque les siens seront
usés.
Personne n'est astreint au travail, ni au service religieux. On accorde
même une journée de sortie par quinzaine et par autobus aller
et retour jusqu'à Alger.
uvre belle et d'une utilité publique incontestable. Aussi
uvre de relèvement moral, parce que tous ceux et toutes celles
qui ont la force nécessaire contribuent à fournir spontanément,
c'est à dire, stimulés par l'exemple des surs, quelque
travail, soit aux ateliers et dépendances, soit au jardin, soit
aux travaux de ménage, lavage, couture, repassage, cuisine. Le
produit en retourne à la communauté. Dans les ateliers travaillent
: maçons, forgerons, peintres pour bâtiment, cordonniers,
menuisiers. Ces derniers ont même confectionné un petit stock
de cercueils. Au cimetière, de même, deux trois fosses sont
toujours prêtes. Preuve de prévoyance ; sait-on, si le menuisier
ou le fossoyeur âgés n'ont pas besoin demain et eux-mêmes
de leur uvre ? Cependant on vieillit chez les petites surs
qui ne veulent pas perdre leurs ainés. Le doyen de la famille a
91 ans ; il est entré à l'hospice, il y a 23 ans.
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