BOUZARÉAH - L'Observatoire : l'éclipse de soleil du 17 avril 1912
(Echo d'Alger du 17 avril 1912)
Nouvelle page mise sur le site le 15 février 2019
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Fondé en 1885, sous la direction du regretté Ch. Trépied, l’0bservatoire national d‘Alger est un des plus remarquables établissements scienti?ques de ce genre. Grâce à l'activité et à la haute compétence du Directeur actuel, M. Gonnessiat, les travaux les plus divers et les plus importants s’y accomplissent avec une remarquable régularité. En première ligne, citons la grande œuvre internationale du Catalogue photographique et de la Carte du ciel, à laquelle l’Observatoire de Bouzaréa coopère activement. Pour mener à bien les grandes taches astronomiques qui lui incombent, ce bel établissement est remarquablement outillé. Il possède une lunette méridienne pourvue des derniers perfectionnements (oculaire automatique et chronographe imprimant de P. Gautier), un équatorial coudé de 0 m 32 d’ouverture, un sidérostat de 0 m 33 d‘ouverture et d’une distance focale de 8 mètres, et un équatorial photographique de 0 m 34. Une des coupoles. de 1’Observatoire est vide à l‘heure actuelle mais doit recevoir incessamment un télescope de Foucault d’une ouverture de 0 m 50. Notons encore que l’Observatoire possède, depuis l'année dernière, un grand sismographe, et que le service météorologique y est remarquablement installé. On vient encore d'y mettre en service une antenne de télégraphie sans ?l d’une longueur de 400 mètres, qui permet de recevoir les signaux horaires de Paris et de Hambourg.
Avec ces instruments de premier ordre, au milieu d'un cadre naturel charmant, le savant personnel de l‘Observatoire travaille assidûment à l'accroissement de nos connaissances. MM. Gonnessiat, Rambaud, Renaux, Sy, Villatte, Baldet ne m'en voudront pas si je leur témoigne devant le grand public algérois ma respectueuse admiration.
Les phases de l'éclipse

Nous n‘avons pas la prétention d’apprendre à nos lecteurs ce qu’est une éclipse de soleil : les élèves des écoles primaires le savent, c‘est un phénomène astronomique produit par le passage de la Lune devant le disque lumineux de l'astre qui nous éclaire. Le nombre des éclipses de Soleil, pour l'ensemble du globe, est en moyenne, de deux par an : mais comme le cône d’ombre traîné après elle par la Lune ne coupe la surface terrestre que sur une zone très étroite, les éclipses totales de Soleil pour un lieu déterminé sont beaucoup plus rares.
Celle que nous pourrons observer aujourd’hui sera totale pour les environs immédiats de Paris: les habitants de la capitale feront sagement de se déplacer pour la contempler car ils ne verront la prochaine qu‘en 1999. A la rareté du phénomène se joint cette fois un intérêt tout spécial : les astronomes se demandent si l'éclipse sera annulaire ou totale, c'est-a-dire si la surface entière du Soleil sera cachée, au moment de la plus grande phase, ou si l‘on apercevra encore un mince anneau lumineux autour de la Lune. Cette incertitude vient de ce que nous ne connaissons pas avec une exactitude absolue le diamètre de notre satellite, la plus faible erreur suffit, en effet à produire une différence d’aspect.
Quoi qu’il en soit, la question ne se pose pas pour Alger. A nos yeux, si le temps est clair, l’éclipse sera partielle. Les 73 centièmes du diamètre du Soleil seront cachés par la Lune, ce qui correspond à peu près à l’occultation des 65 centièmes de la surface. La Lune entrera dans le Soleil presque exactement à l‘Ouest, pour en sortir par le Nord, comme le montrent les croquis ci-joints. Voici, en temps légal, les heures des diverses phases du phénomène :
Commencement de l’éclipse (premier contact) : 10 h. 30 m. 28 s. matin ;
Plus grande phase : 11 h. 54 m. 20 s. m.,
Fin de l’éclipse (quatrième contact) : 1 h. 20 m. 13 s. soir.
Remarquons, pour les personnes qui chercheraient ces heures dans la "Connaissance des temps" pour 1912, que cet annuaire, publié en janvier 1910, donne le temps légal adopté à cette époque, celui du méridien de Paris, auquel il faut retrancher 9 m. 21 s. pour avoir le temps légal du méridien de Greenwich, adopté depuis quelque temps.
Le fait que les éphémérides astronomiques voient le jour deux ans à l'avance, rend très peu méritoire la publication des phases d’une éclipse quelques jours avant le phénomène. Depuis 1910, on aurait pu faire exactement la même prédiction, et si on le voulait, on pourrait indiquer dès maintenant les instants de toutes les éclipses jusqu’en 1915, puisqu’elles sont déjà calculées et publiées.
Les observations intéressantes à faire pendant l’éclipse sont nombreuses, même les personnes ne disposant d’aucun instrument‘. On peut suivre les phases du phénomène à l’aide d'un verre fumé, remarquer les variations de la lumière et de la température - celles-ci du reste ne seront du pas très sensibles demain. On peut encore observer la variation de forme des images solaires données par les trous des feuillages : ces images, circulaires en temps ordinaire, suivent la marche de l'éclipse et prennent la forme d'un croissant.
Les photographes essaieront de fixer, plaques autochromes, les colorations atmosphériques ; ou bien sur des plaques badigeonnées au dos avec un antihalo ,ils pourront tenter de reproduire le phénomène lui-même : pour cela un appareil ayant au moins 15 ou 20 cm de foyer. On pourra. prendre. plusieurs images du Soleil sur la même plaque, en calant le Soleil dans le coin convenable de la plaque, et en prenant plusieurs instantanés rapides de 5 m en 5 m.
Ces observations sont, à vrai dire, intéressantes, mais bien rudimentaires, si on les compare à celles auxquelles on se livre dans les observatoires. Dans l'établissement scientifique de premier ordre qui s’élève au sommet du Bouzaréa, l’éclipse est attendue. Sous l’impulsion du savant directeur, M. Gonnessiat, toutes les positions sont prises depuis plusieurs jours. L’équatorial photographique, dont l'objectif a 0 m 34 d’ouverture, a reçu un nouvel obturateur à guillotine qui permettra de nombreux clichés des phases de l’éclipse. Aux autres instruments, c’est-a-dire a l'équatorial coudé de 0 m 32 et au sidérostat de 0 m. 33, de nombreuses observations visuelles et des mesures micrométriques de précision donneront des renseignements exacts sur l’heure des contacts, la position des points où ils se feront, etc. On pourra même observer le phénomène à la grande lunette méridienne, étant donné qu’il se .produira dans les environs de midi, le Soleil étant, par conséquent très prés du méridien.
Nous profitons de cette occasion pour remercier vivement M. le directeur de l'observatoire de l’amabilité avec laquelle il nous a reçus, et, MM. les astronomes des renseignements qu'ils ont bien voulu mettre à notre disposition. Le public algérois leur saura gré de nous avoir permis de mettre sous ses yeux un aperçu du grand travail scientifique qui se poursuit sans relâche à Bouzaréa, sans bruit, mais avec les meilleurs résultats pour la conquête de la connaissance.