BOUZARÉAH - L'Observatoire : A la suite du séisme du 7 septembre 1934
(Echo d'Alger du 9 septembre 1934)
Nouvelle page mise sur le site le 8 mars 2019
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Une visite à l’Observatoire de Bouzaréah

Une route en lacets, bordée d’eucalyptus et de pins poussant drus dans une terre rouge et dominant Alger et tout le golfe baignés d’une brume couleur de perle. Un véritable coin de la Côte d’Azur. Et voici, pour compléter l'illusion, ?bres une large grille, un chemin serpentant dans un grand parc oil poussent a l’ombre des pins, dont l’odeur de résine embaume l’air, des plantes grasses, des géraniums et des lavandes. Les cigales chantent. Cela évoque la Provence, la Corniche d’or à Cannes, les environs de Nice ? Mais c’est tout simplement la Bouzaréa ou, pour être plus précis, l'observatoire. Un coup de sonnette au pavillon central. Une petite bonne proprette et brune vient ouvrir.
— M. Lagrula, s’il vous plaît ? (M. Lagrula est le très distingué directeur de l’observatoire.)
— Il est ici, monsieur, et, sans façons, la jeune fille nous fait pénétrer dans un bureau où la première chose qui frappe est un vaste tableau noir couvert de chiffres et de formules tracés a la craie.
Treès modeste, M. Lagrula nous reçoit
Il n’est nullement surpris de notre visite après un si violent séisme et c'est avec la plus parfaite amabilité qu'il nous précède vers les services de séismographie où il nous présente à M. Nicolini, chef du service méridien. Tout, d’abord M. Lagrula nous communique le résultat des enregistrements de la journée du 7 et du début de la. matinée du 8 septembre.
- Le 7, nous dit-il, une première secousse est enregistrée a 20 h 24’ 54”. Elle est très violente et son épicentre se trouve à 145 kilomètres d’Alger, toujours dans la même région éprouvée le 6 ; avec orientation N.-E. Sw. Cette secousse est suivie d’un autre ébranlement à 21 h 56’ 17” avec épicentre à 125 kilomètres ; intensité forte. Puis, jusqu’à ce matin, aucune manifestation. C’est seulement à 9 h 3' 48" que se produisit un nouveau séisme, modéré celui-là, à 150 kilomètres environ d’Alger. Depuis nous n’avons pu consulter la bande d’enregistrement, que nous ne relevons que toutes les 24 heures, et nous ne pouvons savoir si de nouvelles secousses se sont produites.
VISITE AU SISMOGRAPHE
M. Lagrula nous quitte alors pour continuer ses travaux et nous confie à M. Nicolini qui nous fait visiter le sismographe et nous donne de très nombreuses et savantes explications sur la marche de ce délicat appareil. Avant de descendre dans la cave où repose l'appareil M. Nicolini nous dit :
—- Il faut que je note l’heure exacte de notre visite car nos seuls pas sur le sol de la cave feront enregistrer de petites oscillations qui pourraient être confondues avec de légers séismes. Et c’est exact, dès que nous regardons la bande de papier sur laquelle une fine aiguille, semblable à celle d’un baromètre enregistreur, trace une ligne interrompue à la fin de chaque minute, nous remarquons une série de petits traits horizontaux qui révélent notre petit tremblement de terre artificiel. Et cela suffit à prouver l’extrême sensibilité d’un appareil dont nous ne donnerons qu’une rapide description. Deux cylindres horizontaux, animés par un mouvement d’horlogerie reçoivent une bande de papier glacé, préalablement passée au noir de fumée. Sur cette bande vient se poser une aiguille commandée par une horloge scientifiquement réglée et qui, comme nous le disons plus haut, trace sur la bande de papier un mince sillon dans le noir de fumée, sillon interrompu chaque minute, ce qui permet plus tard de situer exactement l’heure du séisme. A la moindre secousse dans le sol ou sur le sol cette aiguille ne trace plus un sillon perpendiculaire, mais s’agitant horizontalement inscrit dans le noir de fumée une série de sillons d’autant plus rapprochés, que le séisme est près et d’autant plus large que l’amplitude est forte. Deux enregistrements sont opérés a la fois sous deux orientations différentes, l’une Nord-Sud, l’autre Est-Ouest. Par recoupement et comparaisons on arrive à situer le séisme dont l’épicentre est déterminé par l'écartement des différentes ondes enregistrées, ondes primaires et ondes secondaires, les premières étant les ondes transmises horizontalement, directement à travers la couche terrestre de l’épicentre au sismographe, les secondes celles parvenant de l’appareil à la surface de la croûte terrestre.
— Mais, voyez-vous, nous confie M. Nicolini en remontant de la cave, la véritable intensité nous la connaissons d’après les impressions des personnes qui ont ressenti le séisme et voici l’échelle internationale publiée par M.Edmond Rothé, directeur de l’Institut de physique du globe de Strasbourg et du Bureau central séismologique.
Premier degré : mouvement microséismique noté par les séismographes seulement .
Deuxième degré : secousse enregistrée par les séismographes et constatée seulement par un petit nombre d’observateurs au repos.
Troisième degré : ébranlement constaté par plusieurs personnes au repos; assez fort pour que la durée ou la direction; puisent être appréciées.
Quatrième degré : ébranlement constaté par des personnes en activité, faiblement en plein air, mieux dans les maisons, ébranlement des objets mobiles, des portes, des fenêtres, craque-ent des planchers.
Cinquième degré : ébranlement constaté en général par toute la population ; ébranlement d’objets plus lourds; de meubles et de lits ; tintement de quelques sonnettes.
Sixième degré : réveil général des dormeurs ; tintement général des sonnettes, oscillations des lustres, arrêt des pendules ; ébranlement apparent des arbres. Des personnes effrayées sortent des habitations
Septième degré : renversement d’objets mobiles ; chute des plâtras du plafond et des murs ; tintement des cloches dans les églises ; épouvante générale sans dommage aux édifices bien construits.
Huitième degré : chute des cheminées ; lézardes dans les murs;
Neuvième degré : destruction partielle ou totale de quelques édifices.
Dixième degré : des bâtiments très solides sont détruits. Il se produit des fentes dans le sol. L’eau des rivières, lacs, etc... est projetée.
Onzième degré : catastrophe : destruction des bâtiments, ponts, digues, rails tordus, débordement des eaux.
Douzième degré ; grande catastrophe. - Aucune œuvre ne subsiste, montagnes effondrées, ébranlées. Des chutes d’eau se forment, etc...
A la fin de cette lecture, M. Nicolini conclut :
Ainsi, on peut classer le séisme de Carnot au neuvième degré ce qui le situe parmi les secousses très fortes.
Il ne nous reste plus qu’a remercier notre aimable cicerone et à saluer M. Lagrula qui, modestement et avec ferveur, assisté de trop peu nombreux collaborateurs, contribue à étendre le champ des connaissances humaines dans les domaines mystérieux de la cosmographie et de l'astronomie.