Le « dépôt
de mendicité » de Beni-Messous va être remis
en service.
On s'occupe beaucoup,
en ce moment, de remettre en état le domaine de Beni-Messous
qui, avant la guerre et jusqu'en 1916, fut effectivement un « dépôt
de mendicité ». C'est là, en effet, qu'étaient
conduits tous les chemineaux des deux sexes et de toutes nationalités
qui se rencontraient sur les routes du bled et aussi dans les rues
des villages et des villes.
Grâce aux renseignements que nous fournit, avec sa grande
amabilité coutumière, M. Gavarry, l'architecte chargé
par le Gouvernement de l'aménagement du domaine, nous avons
pu visiter en détail les anciennes organisations et les comparer
avec celles dont la mise en service ne saurait attendre plus longtemps.
Les anciens bâtiments ne sont plus que des ruines. Une porte
voûtée, surmontée d'une grande plaque de marbre
portant l'inscription : « dépôt départemental
de mendicité créé le 1er mars 1875 »,
laisse entrevoir, dès l'abord, une végétation
indisciplinée qui envahit les cours. A l'intérieur,
les diverses portes sont surmontées de planchettes sur lesquelles
subsistent des vestiges de plaques de cuivre ajouré indiquant
: « Boulangerie », - « Cuisine », - «
Magasin aux vivres », etc.. La boulangerie est aujourd'hui
transformée en cimetière d'instruments aratoires ;
le réfectoire est encombré de vieilles tables, de
fers de lits tordus et rouilles. Dans une seconde cour se dresse
encore un long lavabo en maçonnerie sur lequel, derniers
témoins, sont encore scellés trois ou quatre robinets
de cuivre. Plus loin, se trouve l'infirmerie des femmes. Les fenêtres,
ornées de grilles, sont presque totalement obstruées
par les toiles d'araignées se confondant avec les lambeaux
de toile de sac qui servaient de rideaux. La salle est lugubrement
sombre. Aux murs sont encore accrochées de petites tablettes
de bois où sont collées des étiquettes portant
chacune un nom et une date : « Boumezil Zehaïr,
entrée le 20 mars 1912 » _ « Mary Catherine,
entrée le 15 novembre 1907 ». Combien de femmes,
misérables épaves, ont connu dans ce coin sombre quelques
jours de bonheur avant de reprendre la route ou bien avant de mourir.
D'autres cours font suite à ces bâtiments. Là,
l'herbe folle a prospéré partout ; il y croît
aussi des figuiers et une treille qui, malgré son abandon,
produit de belles grappes. Enfin, un dernier bâtiment à
étage. Le rez-de-chaussée est encombré de caisses
à lapins. Un escalier de marbre conduit au premier étage.
La toiture d'une aile s'est effondrée et le parquet est jonché
de plâtras, de fers de lits, de gouttières d'infirmes
et de matelas éventrés qui offrent le plus parfait
spectacle de dévastation. On croirait voir encore un des
hôpitaux du front après le passage de la mitraille.
C'est, en effet, la guerre qui, indirectement, a fait de ce refuge
de miséreux une ruine de plus. Depuis 1916, ce domaine de
74 hectares, avec des bâtiments de plus de 100 mètres
de long, a dû être abandonné. Après avoir
fonctionné normalement depuis sa création jusqu'au
milieu de la guerre, ce dépôt de mendicité a
vu décroître sa clientèle. A partir de cette
époque, il n'y eut plus de mendiants, ou, plus exactement,
on avait d'autres chats à fouetter que de continuer à
s'occuper d'eux. Les quelques idiots et épileptiques qui
y demeuraient encore furent expédiés à Douera.
Et cependant, c'était là une bien bonne chose pour
les malheureux qui, ramassés par les services spéciaux
étaient amenés à Beni-Messous où on
les réconfortait moralement et physiquement. Lorsqu'ils étaient
aptes à reprendre la route, ils se dirigeaient vers Staouéli
où les Trappistes les hébergeaient encore pendant
trois jours... puis ils se laissaient reprendre et revenaient à
Beni-Messous.
Les fêtes du Centenaire ont permis de faire quelques économies.
C'est sur ces sommes que deux millions ont été prélevés
pour la remise en état des ruines de Beni-Messous, et pour
la création de nouveaux bâtiments dont l'un d'eux est
terminé: l'infirmerie.
Quel contraste avec les maisons voisines : de l'air, du soleil,
des murs blancs, des carrelages clairs partout. Une salle d'épouillage
pour les nouveaux arrivants, avec douche chaude et froide ; des
salles de visite médicale et d'opérations ; de vastes
dortoirs aux hautes et larges baies, sont réservés
aux femmes, d'autres aux hommes, d'autres aux enfants, chacun dans
des ailes distinctes et séparées par des cours largement
ouvertes sur la campagne environnante. Buanderies et cuisines sont
sobres mais nettes. On retrouve partout la recherche de ce qui est
sain, gai et sans luxe inutile.
Mais là ne s'arrête pas l'effort tenté par le
Gouvernement. Un projet d'orphelinat a été étudié
et mis au point. Malheureusement il manque le principal pour réaliser
la chose : l'argent. En effet, ce projet coûterait, pour l'ensemble,
six millions, c'est-à-dire quatre millions de plus que la
somme actuellement disponible. Aussi avons-nous dû nous contenter
d'admirer sur le plan, les aménagements modernes du futur
orphelinat de Beni-Messous. Il a été prévu
de vastes bâtiments où seraient hébergés
garçons et filles. Là leur seraient donnés
les soins nécessités par leur santé en même
temps qu'ils recevraient, avec un enseignement approprié,
les premières notions d'un métier de leur choix.
Tel est le projet dont la réalisation est aujourd'hui commencée.
Nous sommes heureux de voir reprendre, sous une autre formule, une
uvre de bienfaisance digne de notre belle Colonie
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