EL-BIAR - La Cité Universitaire de Ben-Aknoun
Dernière mis à jour le 5 avril 2020
3 articles de l'Echo d'Alger dont un avec le texte numérisé
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Implantée entre l'École Normale d'Institutrices de Ben-Aknoun (ou, plus officiellement, d'El-Biar ), le CREPS et le Lycée de Ben-Aknoun, la Cité Universitaire d'Alger Ben-Aknoun a été construite en 1950 et les premiers pavillons ont été occupés par les garçons en novembre de la même année avant l'inauguration officielle en mars 1951. Mais le premier pavillon réservé aux filles ne les accueillera qu'en 1953.

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Le dessin du plan est faux. En réalité de gauche à droite : Douieb, cité universitaire, Médersa, Stade, Lycée
(Echo d'Alger des 31 mars et 4 mai 1949)

Un grave problème: loger les étudiants
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LA CITE UNIVERSITAIRE D'ALGER
une des plus belles du monde
va s'élever à Ben-Aknoun

Deux bâtiments en construction, des ouvriers, des grues, des camions, des coups de marteau. "La France, nous dit M. Bienvenu, architecte D.P.L.G., est la première nation du monde à créer en dehors de son territoire métropolitain une cité universitaire..."
Nous sommes à Ben-Aknoun, en plein champ ; non loin de là, à l’est, le lycée. C’est sur vingt-huit hectares de ce plateau vallonné, tourné vers la Mitidja que se dresseront au fur et àmesure les quelques 22 bâtiments qui formeront la cité universitaire d'Alger. Mais que de temps, que de tâtonnements et d’expédients ont été envisagés avant d’en arriver à cette dernière solution, la seule qui plaise vraiment aux étudiants !
Les étapes parcourues
1945. - Au lendemain de la guerre, le nombre d’étudiants s’accroît sans cesse, les démobilisés rentrent, les logements manquent, les services administratifs occupent encore la plupart des locaux... Des étudiants couchent en gare d’Alger dans des wagons désaffectés, d’autres vivent dans de misérables réduits... : il n’y a pas de ponts à Alger et, spectacle désolant, on utilise les squares pour une nuit au moins ! Certains, découragés, abandonnent... Les cours se succèdent... Pourtant on propose l’hôtel d’Angleterre : son achat et sa réfection nécessitent l’engagement d’une somme de 2 millions et demi de francs. Phénomène inexplicable, M. Martino, alors recteur, refuse !...
1946. - Le Rectorat, le comité des Œuvres sociales de l’Université d’Alger, l’Association générale des Étudiants cherchent une solution. On parle d’un hôtel rue Rovlgo mais le prix est excessif. L’école de la Marine propose son foyer de la rue des Colons : une réfection s’impose. La solution est peu avantageuse.
L’année passe, on cherche toujours... Pendant ce temps, certains étudiants s’affublent du titre de clochard, contre leur gré évidemment...
1947. - On songe à construire : des terrains sont disponibles dans la ville même ; les pavillons seront isolés. On parle de l’avenue Claude-Debussy, du Télemly, de l’église Ste-Marcienne, du Champ de Manœuvres, de l’avenue du 8-Novembre... Mais les étudiants pensent déjà à une cité, comme celle de Paris, de Nancy ou de Bordeaux...
1948. - Un accord avec les hôteliers intervient ; des chambres à prix réduit seront disponibles, mais le résultat est décevant. le nombre de chambres trouvées infime. Jean Vassallo. alors président de l’A.G., mène tenacement la campagne. Il suggère qu'on lève la réquisition des chambres qui demeurent inoccupées par leurs bénéficiaires, pendant une bonne partie de l’année. . Ernst, préfet d’Alger, entre en lice et lance un appel. Enfin un résultat tangible : les offres arrivent, se multiplient. Un premier pas est fait. Mais cela n'est pas suffisant...
1949. - On parle déjà d’une cité sur la propriété du prince d’Annam. Pour aller vite, on propose des maisons préfabriquées, mais les incendies de la Cité universitaire de Strasbourg et de chalets en Savoie démontrent trop l’inconvénient du "tout en bois". Et brusquement c’est la solution idéale rêvée ! M. le recteur Gau suggère un terrain qui appartient à l’Université d’Alger, à Ben-Aknoun.
I1 faut passer aux actes... Cependant, le C.O.S.U.A.L. et l’A.G arrivent au prix d’efforts sans nombre loger pour novembre 160 étudiants. C’est peu, mais c‘est beaucoup si l'on jette un regard sur le passé !
L'équipe des réalisateurs
"Alger se doit d’avoir sa cité universitaire, car rien n’est plus favorable au développement de la vie étudiante sous toutes ses formes. Il faut taire vite". Telle était la pensée d'un grand nombre d’étudiants et en particulier de Jean Vassallo qui, dès novembre 1947, date à laquelle il fut élu président de l’A.G., n’eut plus qu’un but : réaliser cette idée qu’il allait poursuivre pendant deux ans et qu'il continue aujourd’hui au sein du bureau du conseil d’administration de la Cité qui vient d’être élu sous la présidence de Mme Henriette Charles-Vallin. Est-il besoin de rappeler que la vice-présidente de l’Assemblée algérienne s’est toujours penchée avec compréhension sur les problèmes étudiants et que son concours a été décisif quand il s'est agi de convaincre les Pouvoirs publics et les ministres intéressés. Il fallait un technicien et nul n'était plus compétent que le grand architecte, disons mieux, le grand urbaniste qu’est M. Bienvenu. Il fallait des crédits, il fallait un terrain.Avec l’aide et l’appui le plus ferme de M. le recteur Gau, tous ensemble, ils ont su les obtenir avec une volonté qui doit être un exemple.Ces noms resteront attaches à l’histoire de cette cité ; mais on oubliera très vite les difficultés auxquelles il aura fallu faire face ! Et l’étudiant, si heureux dans ce cadre, ne s’en rendra même plus compte ! Qu’importe, la cité aura été créée et ses artisans auront triomphé : ce sera leur plus belle récompense.
Aspect général
M. Bienvenu, M. l’administrateur de la S.A.L.D.E.C.O., société adjudicatrice des deux premiers pavillons, et M. Vassalio nous exposent ce que sera la cité. Une voie d’accès, large de 10 à 12 mètres quittera la route départementale et mènera à un rond-point, véritable carrefour de la cité. De cette voie et de ce rond-point, d’autres routes rayonneront vers les différents bâtiments. Dix-huit pavillons hébergeront les étudiants :
trois d’entre eux, situés sur une petite colline et légèrement isolés des autres, abriteront les jeunes filles.


un pavillon de jeunes filles

Un grand bâtiment en V comprendra le restaurant, le centre sanitaire et une salle de culture physique. Face à ce bâtiment : les salles de loisir et la salle de spectacles. Entre les deux, un grand parvis formant une piste de 2.000 mètres carrés pourra servir à donner de grands bals ou des représentations en plein air.
Une jolie villa mauresque, anciennement habitée par le recteur, entourée d‘arbres et de fleurs, logera le directeur et les services administratifs.


Villa mauresque du directeur

Un immense bâtiment, dans lequel des chambres et des dortoirs seront réservés aux professeurs et étudiants de passage, formera la bibliothèque et les salles de travail.
Un grand stade,


Pavillon Jean Vassallo et terrains de sports

des parcs à auto, un salon de coiffure, des jardins,


Vue générale et des jardins

une multitude de terrains de jeux divers et variés contribueront à donner à la cité un aspect d‘autonomie à peu près complète, un aspect de petite ville !
Rappelons, devant cet immense projet en voie de réalisation, que la Cité universitaire de Paris ne couvre pas 10 hectares ! M. Bienvenu a voulu faire de celle d’Alger un modèle, un exemple... On a vu grand, on a vu large. Mais notre étonnement est plus grand encore lorsque l’on nous parle des pavillons eux-mêmes.
Les pavillons
Tous les pavillons seront en arc de cercle, dirigés suivant la meilleure orientation possible : Nord-Est-Sud-Est. . Ils comprendront un rez-de-chaussée et deux étages et logeront chacun une cinquantaine d'étudiants, à raison de un par chambre. Au-dessus de la porte d’entrée principale, des bas-reliefs. tracés par le sculpteur Damboise contribueront à en faire une œuvre d’art. Cette entrée donnera sur un vestibule richement décoré, au fond duquel des escaliers mèneront aux étages supérieurs. Chaque pavillon aura son concierge, qui logera au rez-de-chaussée. Toutes les chambres seront d’un même coté du couloir, ce dernier étant exposé au Nord-Ouest, c'est-a-dire au mauvais temps, point qui a été difficile à obtenir, mais le souci de l’hygiène a finalement triomphé. Au rez-de-chaussée, sur les façades Nord-Ouest, de chaque coté de la loge du concierge, deux préaux... En outre, chaque étage aura des locaux communs, une cuisine, une lingerie, des salles de bains, etc... Tout autour du pavillon, des fleurs, des arbres, des terrains de jeux.
Les chambres
Toutes les chambres seront exposées au soleil levant. Mais si M. Bienvenu a été guidé par le souci de l’hygiène, il l’a été aussi par celui du confort et du bien-être. Chaque chambre aura environ 3 m. 50 sur 4 et possédera en propre un cabinet de toilette avec eau chaude courante et douche. Tout a été prévu : l’emplacement du poste de T.S.F., le placard, penderie, garde-manger, porte valise, le garde-chaussures, etc... Au dos de la porte du cabinet de toilette, l’étudiant disposera d’un tableau noir ! Le souci du progrès a été poussé si loin qu’il y aura même une prise de courant dans le cabinet de toilette pour les amateurs du rasoir électrique ! Les chambres du rez-de-chaussée donneront toutes sur un parc, par une large porte-fenêtre devant laquelle un petit parvis permettra à l‘étudiant, « ce travailleur intellectuel », de s’assoupir un instant au soleil... Celles du premier étage seront un peu en retrait et donneront de la même façon sur une petite terrasse, tandis que celles du second, en retrait aussi, seront bordées par un large balcon ; autrement dit, il y aura du soleil pour tous dans la maison ! D’autre part, les bâtiments seront insonorisés et les cabinets de toilette s’intercaleront entre chaque chambre, ce qui permettra de se livrer à de puissantes vocalises sans déranger le voisin. Le chauffage s'effectuera par circulation d’eau chaude. Toutes les conduites d’eau et d'électricité seront extérieures aux chambres, de façon qu’aucune réparation n’occasionne un dérangement quelconque au pensionnaire. Quant à la question de l’évacuation de l’eau, elle fait actuellement l’objet d’une étude particulière.
Impression d’ensemble
Nous ne saurions décrire ici tout le luxe de petits détails qui permettront à l’étudiant de travailler dans les meilleures conditions voulues. Nous avons l’impression qu’ils sont l’œuvre d'un père pour ses enfants ; à chaque pas, à chaque coin, nous rencontrons une surprise, une particularité... Et lorsqu’on jette un regard d’ensemble sur toute cette conception, on se sent en face d’un chef-d’œuvre naissant en face de ce qui sera une merveille de l’art architectural moderne où le talent de l’architecte a su jouer artistement avec la ligne horizontale. Mais il est encore une question délicate à laquelle les réalisateurs ont déjà pensé : c’est celle du fonctionnement administratif de la cité, question que Mme Charles-Vallin et M. J. Vassallo étudient et complètent chaque jour.
Comment fonctionnera la Cité universitaire
Cette cité ne sera pas, comme ses sœurs métropolitaines, un service public, mais une association privée qui devra se suffire à elle-même. Ainsi ce sera une charge de moins sur le budget de l’État qui aura permis son édification. Les ressources de cette association proviendront du prix de pension, qu’on essayera de rendre le plus bas possible, et qui sera à peu près identique aux prix pratiqués dans les lycées et collèges. De toute façon, le prix de la chambre, des repas, de l’entretien et du transport de l’étudiant sera de beaucoup inférieur à ce que coûte la pension actuelle en pleine ville ! Le personnel de la cité, au nombre d’une centaine. sera logé sur place. Le restaurant servira chaque jour 1.000 à 1.500 repas.
LES TRANSPORTS. — Le seul inconvénient serait celui de l’éloignement. Mais la question des transports se résout déjà. : des pourparlers sont en cours pour avoir un abonnement unique sur les trams et trolleys T.A. et C.F.R.A. réunis. Peut-être arrivera-t-on à avoir une ligne directe Cité-Facultés, (note du site : ce sera fait en 1956 avec la création de la ligne 7 barré des CFRA Ben-Aknoun - Plateau des Glières)
peut-être encore, ce qui est mieux, la cité aura son service autonome ! Faisons confiance aux organisateurs, à l'équipe de réalisateurs, qui a déjà surmonté l’insurmontable !...
Les réalisations actuelles
Les crédits

L’action de Mme Charles-Vallin, le soutien du cabinet de M. le Gouverneur général, la compréhension unanime des délégués à l’Assemblée algérienne ont permis à la cité de « démarrer » au plus vite. Une première tranche de 100 millions avait déjà été votée l’hiver dernier. C’est à la S.A.L.D.E.C.O. qu’a été dévolue la charge de construire les deux premiers pavillons. Fin mars, ces pavillons seront terminés et prêts à recevoir une centaine d’étudiants. Mais le travail se poursuit : déjà Mme Charles-Vallin a déposé, sur le bureau de l’Assemblée algérienne, une motion demandant d’utiliser les crédits avant qu’ils ne soient votés, car ils ne sauraient l’être avant avril ou mai. Grâce à cette motion, M. Bienvenu a préparé le plan de deux autres pavillons qui vont être mis en adjudication à la fin de ce mois. En novembre 1950 donc, on peut espérer pouvoir loger un maximum d’étudiants en attendant mieux.
Conclusion
Il resterait encore beaucoup à dire sur les étapes qui ont mené jusqu’à la réalisation de notre cité
universitaire, sur le travail qu’elle a demandé à Mme Charles-Vallin, à M. Bienvenu, à M. le recteur Gau, à Jean Vassallo... Un de leurs plus grands mérites est d’avoir toujours sollicité l’avis des étudiants eux-mêmes, par la voix de leurs différentes associations, jusque sur le choix du terrain... Leur rôle est resté trop obscur, certains même le nient et pourtant. Pourtant, la cité n’est plus le rêve qu’Alger nourrissait depuis 20 ans, elle est déjà une réalité. Que les sceptiques s’y attardent, au hasard d’une promenade, et ils verront les échafaudages qui se dressent vers le ciel. Une seule réalisation de ce genre peut être signalée : c’est celle du lac Kivou, an Congo beige, mais là c’est une cité-refuge pour tous les savants qui voudront y trouver asile, après la destruction de l’humanité ! Alors que la cité universitaire d’Alger est un geste de pure confiance en l’avenir... car il y a toujours en France de la place et de l’espoir pour les hommes de demain !

Echo d'Alger du 20 décembre 1949