Un
grave problème: loger les étudiants
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LA CITE UNIVERSITAIRE
D'ALGER
une des plus belles du monde
va s'élever
à Ben-Aknoun
Deux
bâtiments en construction, des ouvriers, des grues, des camions,
des coups de marteau. "La France, nous dit M. Bienvenu, architecte
D.P.L.G., est la première nation du monde à créer
en dehors de son territoire métropolitain une cité universitaire..."
Nous sommes à Ben-Aknoun, en plein champ ; non loin de là,
à lest, le lycée. Cest sur vingt-huit hectares
de ce plateau vallonné, tourné vers la Mitidja que se dresseront
au fur et àmesure les quelques 22 bâtiments qui formeront
la cité universitaire d'Alger. Mais que de temps, que de tâtonnements
et dexpédients ont été envisagés avant
den arriver à cette dernière solution, la seule qui
plaise vraiment aux étudiants !
Les étapes parcourues
1945. - Au lendemain de la guerre, le nombre détudiants
saccroît sans cesse, les démobilisés rentrent,
les logements manquent, les services administratifs occupent encore la
plupart des locaux... Des étudiants couchent en gare dAlger
dans des wagons désaffectés, dautres vivent dans de
misérables réduits... : il ny a pas de ponts à
Alger et, spectacle désolant, on utilise les squares pour une nuit
au moins ! Certains, découragés, abandonnent... Les cours
se succèdent... Pourtant on propose lhôtel dAngleterre
: son achat et sa réfection nécessitent lengagement
dune somme de 2 millions et demi de francs. Phénomène
inexplicable, M. Martino, alors recteur, refuse !...
1946. - Le Rectorat, le comité des uvres sociales
de lUniversité dAlger, lAssociation générale
des Étudiants cherchent une solution. On parle dun hôtel
rue Rovlgo mais le prix est excessif. Lécole de la Marine
propose son foyer de la rue des Colons : une réfection simpose.
La solution est peu avantageuse.
Lannée passe, on cherche toujours... Pendant ce temps, certains
étudiants saffublent du titre de clochard, contre leur gré
évidemment...
1947. - On songe à construire : des terrains sont disponibles
dans la ville même ; les pavillons seront isolés. On parle
de lavenue Claude-Debussy, du Télemly, de léglise
Ste-Marcienne, du Champ de Manuvres, de lavenue du 8-Novembre...
Mais les étudiants pensent déjà à une cité,
comme celle de Paris, de Nancy ou de Bordeaux...
1948. - Un accord avec les hôteliers intervient ; des chambres
à prix réduit seront disponibles, mais le résultat
est décevant. le nombre de chambres trouvées infime. Jean
Vassallo. alors président de lA.G., mène tenacement
la campagne. Il suggère qu'on lève la réquisition
des chambres qui demeurent inoccupées par leurs bénéficiaires,
pendant une bonne partie de lannée. . Ernst, préfet
dAlger, entre en lice et lance un appel. Enfin un résultat
tangible : les offres arrivent, se multiplient. Un premier pas est fait.
Mais cela n'est pas suffisant...
1949. - On parle déjà dune cité sur
la propriété du prince dAnnam. Pour aller vite, on
propose des maisons préfabriquées, mais les incendies de
la Cité universitaire de Strasbourg et de chalets en Savoie démontrent
trop linconvénient du "tout en bois". Et brusquement
cest la solution idéale rêvée ! M. le recteur
Gau suggère un terrain qui appartient à lUniversité
dAlger, à Ben-Aknoun.
I1 faut passer aux actes... Cependant, le C.O.S.U.A.L. et lA.G arrivent
au prix defforts sans nombre loger pour novembre 160 étudiants.
Cest peu, mais cest beaucoup si l'on jette un regard sur le
passé !
L'équipe des
réalisateurs
"Alger se doit davoir sa cité universitaire, car rien
nest plus favorable au développement de la vie étudiante
sous toutes ses formes. Il faut taire vite". Telle était la
pensée d'un grand nombre détudiants et en particulier
de Jean Vassallo qui, dès novembre 1947, date à laquelle
il fut élu président de lA.G., neut plus quun
but : réaliser cette idée quil allait poursuivre pendant
deux ans et qu'il continue aujourdhui au sein du bureau du conseil
dadministration de la Cité qui vient dêtre élu
sous la présidence de Mme Henriette Charles-Vallin. Est-il besoin
de rappeler que la vice-présidente de lAssemblée algérienne
sest toujours penchée avec compréhension sur les problèmes
étudiants et que son concours a été décisif
quand il s'est agi de convaincre les Pouvoirs publics et les ministres
intéressés. Il fallait un technicien et nul n'était
plus compétent que le grand architecte, disons mieux, le grand
urbaniste quest M. Bienvenu. Il fallait des crédits, il fallait
un terrain.Avec laide et lappui le plus ferme de M. le recteur
Gau, tous ensemble, ils ont su les obtenir avec une volonté qui
doit être un exemple.Ces noms resteront attaches à lhistoire
de cette cité ; mais on oubliera très vite les difficultés
auxquelles il aura fallu faire face ! Et létudiant, si heureux
dans ce cadre, ne sen rendra même plus compte ! Quimporte,
la cité aura été créée et ses artisans
auront triomphé : ce sera leur plus belle récompense.
Aspect général
M. Bienvenu, M. ladministrateur de la S.A.L.D.E.C.O., société
adjudicatrice des deux premiers pavillons, et M. Vassalio nous exposent
ce que sera la cité. Une voie daccès, large de 10
à 12 mètres quittera la route départementale et mènera
à un rond-point, véritable carrefour de la cité.
De cette voie et de ce rond-point, dautres routes rayonneront vers
les différents bâtiments. Dix-huit pavillons hébergeront
les étudiants :
trois dentre eux, situés sur une petite colline et légèrement
isolés des autres, abriteront les jeunes filles.

un pavillon de jeunes filles
Un grand
bâtiment en V comprendra le restaurant, le centre sanitaire et une
salle de culture physique. Face à ce bâtiment : les salles
de loisir et la salle de spectacles. Entre les deux, un grand parvis formant
une piste de 2.000 mètres carrés pourra servir à donner
de grands bals ou des représentations en plein air.
Une jolie villa mauresque, anciennement habitée par le recteur, entourée
darbres et de fleurs, logera le directeur et les services administratifs.
Villa mauresque du directeur
Un immense bâtiment, dans lequel des chambres et des dortoirs seront
réservés aux professeurs et étudiants de passage,
formera la bibliothèque et les salles de travail.
Un grand stade,

Pavillon Jean Vassallo et terrains
de sports
des parcs à auto, un salon de coiffure, des jardins,
Vue générale et des
jardins
une multitude de terrains de jeux divers et variés contribueront
à donner à la cité un aspect dautonomie à
peu près complète, un aspect de petite ville !
Rappelons, devant cet immense projet en voie de réalisation, que
la Cité universitaire de Paris ne couvre pas 10 hectares ! M. Bienvenu
a voulu faire de celle dAlger un modèle, un exemple... On
a vu grand, on a vu large. Mais notre étonnement est plus grand
encore lorsque lon nous parle des pavillons eux-mêmes.
Les pavillons
Tous les pavillons seront en arc de cercle, dirigés suivant la
meilleure orientation possible : Nord-Est-Sud-Est. . Ils comprendront
un rez-de-chaussée et deux étages et logeront chacun une
cinquantaine d'étudiants, à raison de un par chambre. Au-dessus
de la porte dentrée principale, des bas-reliefs. tracés
par le sculpteur Damboise contribueront à en faire une uvre
dart. Cette entrée donnera sur un vestibule richement décoré,
au fond duquel des escaliers mèneront aux étages supérieurs.
Chaque pavillon aura son concierge, qui logera au rez-de-chaussée.
Toutes les chambres seront dun même coté du couloir,
ce dernier étant exposé au Nord-Ouest, c'est-a-dire au mauvais
temps, point qui a été difficile à obtenir, mais
le souci de lhygiène a finalement triomphé. Au rez-de-chaussée,
sur les façades Nord-Ouest, de chaque coté de la loge du
concierge, deux préaux... En outre, chaque étage aura des
locaux communs, une cuisine, une lingerie, des salles de bains, etc...
Tout autour du pavillon, des fleurs, des arbres, des terrains de jeux.
Les chambres
Toutes les chambres seront exposées au soleil levant. Mais si M.
Bienvenu a été guidé par le souci de lhygiène,
il la été aussi par celui du confort et du bien-être.
Chaque chambre aura environ 3 m. 50 sur 4 et possédera en propre
un cabinet de toilette avec eau chaude courante et douche. Tout a été
prévu : lemplacement du poste de T.S.F., le placard, penderie,
garde-manger, porte valise, le garde-chaussures, etc... Au dos de la porte
du cabinet de toilette, létudiant disposera dun tableau
noir ! Le souci du progrès a été poussé si
loin quil y aura même une prise de courant dans le cabinet
de toilette pour les amateurs du rasoir électrique ! Les chambres
du rez-de-chaussée donneront toutes sur un parc, par une large
porte-fenêtre devant laquelle un petit parvis permettra à
létudiant, « ce travailleur intellectuel »,
de sassoupir un instant au soleil... Celles du premier étage
seront un peu en retrait et donneront de la même façon sur
une petite terrasse, tandis que celles du second, en retrait aussi, seront
bordées par un large balcon ; autrement dit, il y aura du soleil
pour tous dans la maison ! Dautre part, les bâtiments seront
insonorisés et les cabinets de toilette sintercaleront entre
chaque chambre, ce qui permettra de se livrer à de puissantes vocalises
sans déranger le voisin. Le chauffage s'effectuera par circulation
deau chaude. Toutes les conduites deau et d'électricité
seront extérieures aux chambres, de façon quaucune
réparation noccasionne un dérangement quelconque au
pensionnaire. Quant à la question de lévacuation de
leau, elle fait actuellement lobjet dune étude
particulière.
Impression densemble
Nous ne saurions décrire ici tout le luxe de petits détails
qui permettront à létudiant de travailler dans les
meilleures conditions voulues. Nous avons limpression quils
sont luvre d'un père pour ses enfants ; à chaque
pas, à chaque coin, nous rencontrons une surprise, une particularité...
Et lorsquon jette un regard densemble sur toute cette conception,
on se sent en face dun chef-duvre naissant en face de
ce qui sera une merveille de lart architectural moderne où
le talent de larchitecte a su jouer artistement avec la ligne horizontale.
Mais il est encore une question délicate à laquelle les
réalisateurs ont déjà pensé : cest celle
du fonctionnement administratif de la cité, question que Mme Charles-Vallin
et M. J. Vassallo étudient et complètent chaque jour.
Comment fonctionnera
la Cité universitaire
Cette cité ne sera pas, comme ses surs métropolitaines,
un service public, mais une association privée qui devra se suffire
à elle-même. Ainsi ce sera une charge de moins sur le budget
de lÉtat qui aura permis son édification. Les ressources
de cette association proviendront du prix de pension, quon essayera
de rendre le plus bas possible, et qui sera à peu près identique
aux prix pratiqués dans les lycées et collèges. De
toute façon, le prix de la chambre, des repas, de lentretien
et du transport de létudiant sera de beaucoup inférieur
à ce que coûte la pension actuelle en pleine ville ! Le personnel
de la cité, au nombre dune centaine. sera logé sur
place. Le restaurant servira chaque jour 1.000 à 1.500 repas.
LES TRANSPORTS. Le seul inconvénient serait celui
de léloignement. Mais la question des transports se résout
déjà. : des pourparlers sont en cours pour avoir un abonnement
unique sur les trams et trolleys T.A. et C.F.R.A. réunis. Peut-être
arrivera-t-on à avoir une ligne directe Cité-Facultés,
(note
du site : ce sera fait en 1956 avec la création de la ligne 7 barré
des CFRA Ben-Aknoun - Plateau des Glières)
peut-être encore, ce qui est mieux, la cité aura son service
autonome ! Faisons confiance aux organisateurs, à l'équipe
de réalisateurs, qui a déjà surmonté linsurmontable
!...
Les réalisations
actuelles
Les crédits
Laction de Mme Charles-Vallin, le soutien du cabinet de M. le Gouverneur
général, la compréhension unanime des délégués
à lAssemblée algérienne ont permis à
la cité de « démarrer » au plus vite.
Une première tranche de 100 millions avait déjà été
votée lhiver dernier. Cest à la S.A.L.D.E.C.O.
qua été dévolue la charge de construire les
deux premiers pavillons. Fin mars, ces pavillons seront terminés
et prêts à recevoir une centaine détudiants.
Mais le travail se poursuit : déjà Mme Charles-Vallin a
déposé, sur le bureau de lAssemblée algérienne,
une motion demandant dutiliser les crédits avant quils
ne soient votés, car ils ne sauraient lêtre avant avril
ou mai. Grâce à cette motion, M. Bienvenu a préparé
le plan de deux autres pavillons qui vont être mis en adjudication
à la fin de ce mois. En novembre 1950 donc, on peut espérer
pouvoir loger un maximum détudiants en attendant mieux.
Conclusion
Il resterait encore beaucoup à dire sur les étapes qui ont
mené jusquà la réalisation de notre cité
universitaire, sur le travail quelle a demandé à Mme
Charles-Vallin, à M. Bienvenu, à M. le recteur Gau, à
Jean Vassallo... Un de leurs plus grands mérites est davoir
toujours sollicité lavis des étudiants eux-mêmes,
par la voix de leurs différentes associations, jusque sur le choix
du terrain... Leur rôle est resté trop obscur, certains même
le nient et pourtant. Pourtant, la cité nest plus le rêve
quAlger nourrissait depuis 20 ans, elle est déjà une
réalité. Que les sceptiques sy attardent, au hasard
dune promenade, et ils verront les échafaudages qui se dressent
vers le ciel. Une seule réalisation de ce genre peut être
signalée : cest celle du lac Kivou, an Congo beige, mais
là cest une cité-refuge pour tous les savants qui
voudront y trouver asile, après la destruction de lhumanité
! Alors que la cité universitaire dAlger est un geste de
pure confiance en lavenir... car il y a toujours en France de la
place et de lespoir pour les hommes de demain !
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