Quelques
"figures"
Chaque
année, avait lieu le rituel de la photo de classe, prise dans la
cour, au moyen d'un vénérable appareil à trépied,
par Émile MILANDRE, Monsieur MILANDRE, qui nous visait après
avoir passé sa tête sous le grand drap noir en nous disant
"ne bougeons plus !". Photographe de métier, il habitait
le quartier (la future rue du Berry) et il avait du avoir son heure de gloire
dans l'entre deux guerres car son studio était alors situé
rue Bab-el-Oued, je crois, en plein cur de l'Alger de l'époque,
et il avait été l'auteur de cartes postales de Bouzaréah
mais aussi d'autres villages d'Algérie, plus éloignés
(j'ai ainsi trouvé une carte d'Aïn-Bessem portant l'inscription
"cliché Milandre").
.
|
|
Monsieur
Emile Milandre et le cachet de son studios"Électric Photo",
à Bouzaréa, apposé au verso d'une photo du CAF
(Club d'Air de France) |
|
Annonce
de l'installation d'un studio photo ouvert par M. Milandre à
Bouzaréah
Echo d'Alger du 20 juin1947 |
Dans le domaine de l'éducation et de la culture, il faut se souvenir
de Monsieur RINGEISEN, un ancien clarinettiste de concert reconverti en
professeur de musique, qui essaya de donner le goût et d'inculquer
les rudiments de cette discipline à bien des gamins du quartier,
mais cette aventure cessa après le décès du vieux musicien.
C'est à lui que je dois d'avoir appris, sans trop de peine ni d'effort,
le solfège et la pratique d'un instrument, en l'occurrence un accordéon
à piano Höhner que mon père avait ramené d'Allemagne,
à la fin de la guerre.
|
Avis
de décès de Mme Ringeisen,
épouse du professeur de musique de la rue de Bretagne
(Echo d'Alger du 8 novembre 1951) |
Parmi les autres élèves
de Monsieur RINGEISEN, plus âgés que moi, Pierrot MATHILDÉ,
qui épousera la fille CABANIS et qui, sur son accordéon rouge,
à boutons, Paolo Soprani, jouait merveilleusement le succès
du moment "Mon Petit Cheval Blanco", m'était présenté
comme un modèle dont j'étais engagé à suivre
les traces. |
|
Annonce
de la naissance de Gabriel Ripoll
(fils du garde-champêtre et petits fils du coiffeur, il est
décédé en juin 2018)
(Echo d'Alger du 2 octobre 1949) |
|
Annonce
de la naissance d'Andrée-Georgesl Ripoll
(fils du garde-champêtre et petits fils du coiffeur, il est
décédé en juin 2018)
(Echo d'Alger du 27 spetembre 1951) |
Monsieur
RIPOLL (dont le fils occupât la fonction de Garde Champêtre)
et son salon de coiffure pour hommes et aussi pour nous, les jeunes garçons,
présidait au cérémonial de la coupe de cheveux. Cela
occupait, au moins une fois par mois (la mode était aux cheveux courts,
peut-être aussi par crainte de poux) une partie de la matinée
du jeudi, jour de congé scolaire, et absorbait une grande partie
du temps précieux que nous aurions préféré utiliser
pour nos jeux. Les malheureux qui avaient déjà dû consacrer
leur matinée du jeudi au catéchisme, n'échappaient
pas à cette corvée qui était alors reportée
à l'après-midi. Le petit nombre d'infortunés élus
qui était envoyé chez le coiffeur ressentait cela comme une
injustice car chacun pensait aux copains occupés dans le même
temps à disputer des parties de football, à jouer aux noyaux
ou aux billes ou à faire des tours de quartier à vélo
pendant qu'eux étaient condamnés à attendre plus ou
moins patiemment le moment de passer enfin entre les mains expertes de Monsieur
RIPOLL. C'était un instant redouté car une fois installé
sur la planche placée sur les bras du fauteuil des adultes, il fallait
absolument s'efforcer de ne plus bouger et subir le "tac-tac-tac-tac"
de la tondeuse à main qui tirait (beaucoup) sur les cheveux en même
temps qu'elle les coupait (plus ou moins efficacement). Notre angoisse montait
encore d'un cran lorsque Monsieur RIPOLL se saisissait de son impressionnant
coupe-chou pour nous dégager, très largement, le tour des
oreilles et la nuque, mais cela signifiait aussi que le moment de la libération
approchait. Après une humidification à l'eau du robinet (jamais
de cette eau de Cologne Houbigant dont pourtant quelques flacons
colorés ornaient les étagères du salon de coiffure),
pour mettre en forme les courts cheveux restants, la touche finale était
donnée par un rapide passage de brosse destiné à nous
débarrasser bien imparfaitement des petits cheveux coupés
qui nous piquaient le cou, suivi de deux ou trois coups de houppette talquée.
-----Enfin, il
y avait aussi un vieux couple, appelons le Monsieur et Madame X. dont le
penchant pour les boissons alcoolisées s'était développé
avec l'âge, et il n'était pas rare, certains soirs, de les
voir rentrer chez eux, se tenant ou plutôt se soutenant par le bras,
soudés l'un à l'autre, faisant des embardées sur toute
la largeur de la rue, ponctuant leur itinéraire par de vigoureuses
engueulades et reproches réciproques, attirant ainsi l'attention
de tout le quartier et notamment des plus jeunes qui s'en moquaient plus
ou moins discrètement. |