Le débarquement des
alliés eut lieu un dimanche matin, le 8 novembre 1942. Après
avoir vu toutes les barges de débarquement dans la baie de Sidi
Ferruch depuis le point de vue de la Tribu au-dessus de l'église
où nous étions allées à la messe, nous sommes
rentrées dare-dare par notre Route pour attendre la suite des évènements.
Nous n'attendîmes pas longtemps. De tous côtés des
êtres humains en tenue camouflée, sous des casques garnis
de feuillages divers, firent irruption par le chemin Lamari, le ravin
et la Route elle-même. Deux descendirent par notre chemin jusqu'à
nous ; ils nous demandèrent à boire ce qu'ils firent goulûment
au robinet situé sous le lentisque et le chèvrefeuille dont
ils emportèrent un brin dans leur feuillage de tête. C'était
Petrovitch et Bob Schleyer, qui fréquentèrent, par la suite,
la maison, tant qu'ils furent en Algérie (?). D'autres arrivèrent
sortant du ravin. Il s'avéra qu'ils faisaient partie des brigades
rouges qui s'étaient battus en Espagne dans les rangs des communistes
et, de ce fait, sortaient de la prison d'Alcatraz. Ils furent de charmants
visiteurs tant qu'ils stationnèrent assez près.
Peu d'années avant la guerre fut érigé sur la crête
de notre montagne, juste au-dessus de notre Route et en face de chez nous,
un large bâtiment qui devait être une clinique. Hélas!
le commanditaire qui était le docteur Trainard d'Alger mourut alors
que les travaux n'étaient que très partiellement avancés.
Les bâtiments restèrent ainsi quelques années, ils
se couvrirent de graffiti à l'intérieur, très pornographiques
à mon souvenir.
Pendant la guerre 39-45, les Américains l'occupèrent, installèrent
sur la terrasse des mitrailleuses de D.C.A. C'était un endroit
idéal car situé sur la crête, le tir des mitrailleuses
balayaient l'espace sur 360° ; nous eûmes pendant les raids
allemands une défense parfaite, les obus ne nous touchèrent
pas, ils tombèrent dans notre jardin et les bombes s'éparpillèrent
dans la nature chez la Princesse De Ligne qui avait racheté le
Bordj Polignac et chez Mme Trainard veuve du docteur, mais rien sur les
maisons ni sur le Village.
Ayant fait la connaissance des deux officiers américains commandant
la batterie Charles et Richard Wilson, ils nous permirent de tirer. Nous
fîmes un bruit intense pendant un bel après-midi, alors que
nul avion ne parcourait le ciel (cet âge est sans pitié),
nous dûmes mettre en émoi les populations alentour et cela
nous faisait rire!
Les Alliés ! Quelle aventure ! Et c'en fut une qui changea tout
le cours de notre vie.
La café maure vu dans mon enfance avait disparu sous le chantier
de la clinique, qui devint plus tard, la guerre finie, un monastère
de Franciscains où nous prîmes l'habitude d'aller à
la messe, Maman y allait même tous les jours, sans pour cela oublier
notre curé de Bouzaréa, l'Abbé Suchet d'Albufera,
aumônier militaire en même temps.
Alain, né le 13 février 1942, et le débarquement
font que Guite n'est pas redescendue à Alger. C'est Roger qui montait,
d'abord en autobus, puis quand le débarquement aura eu lieu, il
bénéficiera d'une bicyclette anglaise sans dérailleur
en 1943 offerte par l'ami Ray Shire pilote d'essai sur l'aérodrome
de Maison-Blanche. C'est aussi lui qui offrira à Maman son premier
fauteuil, un fauteuil d'avion recouvert de toile bleue de la R.A.F. Il
nous donnera aussi, triomphant d'amener les voix de l'extérieur
dans une maison qui n'en avait jamais connu les bienfaits, une
énorme radio grise émettrice et réceptrice que nous
avions trônant près du fauteuil. Tout ce matériel
venait du surplus réformés de la R.A.F.
Nous avions donc, dès le début 43, trois officiers britanniques
dans nos murs: le commandant Parker, écossais, le capitaine McLaughlin,
canadien, et le capitaine Alexander, écossais en kilt, un quatrième
viendra un peu plus tard, un gallois Freeman Thomas qui a une belle voix
de basse. Ils font partie de l'Etat Major du Général Alexander
qui s'est installé dans les locaux de l'Ecole Normale. Le Général
Alexander était le commandant en chef des forces alliées
en Afrique du Nord. Il avait vaincu Rommel en Lybie et, commandant suprême
des Forces Alliées en Italie (septembre 1943 - mai 1945), il conduira
la campagne d'Italie et le débarquement de Provence. Ils ont une
ordonnance, Peter, écossais, amené par Douglas Parker. Peter
était employé comme bûcheron sur les terrains de Douglas
en Ecosse.
Ils partaient tous les matins, à pieds ; les jours de presse une
voiture venait les chercher pour les emmener à l'Ecole Normale.
Notre Route était très fréquentée par toutes
sortes de véhicules les Américains préféraient
leurs jeeps à la marche. Peter était logé par l'armée
qui lui a réquisitionné une chambre dans la propriété
Thomaron. Il parcourait ce bout de route et notre chemin à longueur
de temps car il était préposé à l'entretien
de ses quatre officiers : faire leur lit, leur chambre, cirer leurs chaussures,
etc
Il se déclarait heureux de faire ainsi ses mois de guerre,
malheureusement, cela ne dura que 6 mois. Puis débarquement en
Sardaigne, Sicile et Italie où nous perdions nos compagnons de
liesse et de misère. Maman avait accepté de nourrir les
quatre officiers le soir. Ils apportaient leur P.X. c'est à dire
leurs rations militaires et elle ajoutait les nôtres. Chère
Maman ! Quel travail pour arriver à nous nourrir tous. Que de rires
et de bonne humeur autour de la grande table de la salle à manger
! Nous leur apprenions à parler français sauf à McLaughlin
qui parle et chante, avec tante Josette, "St Patrick Day"
et "Gentille alouette". Nous étions interrompus
de temps en temps par des bombardiers qui venaient, à la tombée
de la nuit, lâcher leurs bombes sur Alger. Guite courait vite dans
la salle de bains avec Alain dans les bras et nous, nous restions à
la porte-fenêtre à regarder ce festival de balles traçantes
lancées par les "rockets" de Fort l'Empereur en particulier.
Les bombardiers arrivaient par vagues. Ils réussissaient leur coup
quelquefois et même assez souvent pour faire des dégâts.
Le port était le plus visé et ils arrivaient à toucher
des bateaux qui flambaient comme des torches. Sous nos yeux, au-dessus
du port, un avion allemand touché par un "rocket" s'enflamma,
se brisa en morceaux qui rutilaient pendant un long moment au-dessus de
la mer puis plongeaient, le pilote a tournoyé torche vivante puis
est tombé dans les flots. Voir un homme mourir sous ses yeux, bien
qu'il soit l'ennemi, est une douleur et, en même temps, on se dit
que ce n'était pas notre heure et l'on prie pour ce pauvre diable
remerciant le ciel de nous avoir épargnés. Bizarres étaient
les sentiments qui nous assaillaient !
Les bombardiers venaient aussi dans la journée, c'est ainsi qu'un
train avait sauté, à quai, à Maison-Carrée.
Bien que nous étions à environ 20 kms à vol d'oiseau,
cela avait fait pas mal de dégâts dans les vitres de la maison,
la porte-fenêtre du premier étage avait été
soufflée et s'était ouverte à l'envers, des tuiles
s'étaient envolées. Des obus étaient tombés
dans le jardin, les artificiers en avaient trouvé sept dont l'un
avait cassé les branches d'un laurier rose tout près de
la maison. Il n'avait pas éclaté.
Cependant avec l'insouciance de la jeunesse nous riions toujours. Il y
avait de l'ambiance. Il paraît que le Général Alexander,
quand nos locataires arrivaient le matin à l'Etat-Major, disait
: "arrêtons la guerre, donnez-moi d'abord des nouvelles
des Lambert's sisters". Puis les plans sérieux prenaient
leur place. En quelque sorte nous participions au moral des armées.
Dans la journée nous jouions au ping-pong dont la table restait
constamment déployée devant la maison. Le hic c'étaient
les balles qui n'existaient plus, peut-être au marché noir
ou dans certain "foyer du soldat" allié bien entendu.
Peter était prié de nous en trouver ce qu'il fit au compte-goutte.
Quand nous lui avions déplu, il les remportait. Je ne l'entendais
pas de cette oreille et je me battais pour qu'il les restitue : quelques
coups de pieds qu'il avait voulu rendre et cela donnait lieu à
une poursuite autour de la table Peter criant : "sister, if you
kick me, I'll kick you". Soussou se tordait de rire, ce qui calma
les antagonistes. Peter était notre souffre-douleur et en même
temps nous l'aimions beaucoup et il nous le rendait bien. Quand cela allait
trop loin il allait se plaindre auprès de Maman ; mais comme elle
ne comprenait pas l'anglais et lui pas le français nous jouissions
de l'impunité. Il nous traitait de "Wild garrows"
qui veut dire en écossais "filles sauvages".
Il était surtout fâché quand nous osions nous servir
de ses balles avec des Américains qu'il ne pouvait pas pifer. Il
n'était pas le seul d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, les
alliés ne s'entendaient pas entre eux. Jamais il n'y eut de visites
chez nous pour jouer ou pour manger des Américains et des Britanniques
à la fois. Peter nous espionnait quand les Américains venaient
nous rendre visite et faisait des commentaires désagréables
sur nos visiteurs.
Je me suis aperçue par la suite que cette antipathie réciproque
était très répandue. Les Britanniques et leurs ex-dominions
ainsi que ceux du Commonwealth ne s'entendaient pas, surtout les Sud-Africains
d'origine Boer. Nous nous sommes bien amusées avec cela à
Rabat quand j'avais rejoint ma chère R.A.F... Avec une amie nous
nous sommes faites passer pour des journalistes américaines et
avions interviewé des Sud-Africains. J'avais gardé le résultat
de notre consultation. C'était édifiant quant à la
haine qu'ils se portaient
et pourtant "même combat".
Nos chers locataires partaient au bout de quelques mois, ils faisaient
partie des unités qui devaient envahir la Sardaigne, la Sicile
et l'Italie puis la Provence française. Nous avions des nouvelles
de temps en temps, puis plus rien de la part de Sandy ; McLaughlin revint
une fois, il passa quelques jours avec Maman. Avant de partir ils se sont
réunis pour offrir un souvenir à Maman. Il n'y avait rien
dans les boutiques. Ils avaient quand même réussi à
dénicher une grande lampe en plâtre verni sur laquelle sont
peints des motifs japonais. Elle trônera sur le manteau de la cheminée
jusqu'à notre départ en 1962. Sandy ne viendra plus. Douglas
continuera à envoyer ses vux à Maman, puis, lui aussi,
la mort l'aura pris bien tôt (je nous croyais oubliés mais
non il est mort jeune , comme Sandy, comme bien d'autres).
Freeman Thomas, le gallois, était resté seul du groupe si
sympathique. On les remplaça par le colonel Gummer, le capitaine
Humphreys. Le colonel Gummer avait perdu un il dans la bataille
de Libye, aussi portait-il un cache noir sur son il gauche. Il avait
représenté l'Angleterre auprès du Négus Haïlé
Sélassié qui lui avait offert, en remerciement pour son
aide, un tableau (sorte de toile cirée) exécuté par
son peintre personnel représentant "Le Paradis Perdu".
Il en avait fait présent à Maman. Il est maintenant chez
Nathalie.
Ces trois là étaient moins rigolos que les précédents.
Humphreys en particulier qui s'honore de ne jamais avoir quitté
son pays. Un sacré handicap à mon avis. Freeman était
amoureux ailleurs. Il amena un jour chez nous une très belle personne
en tenue militaire, très distinguée. Il la recevait dans
sa chambre pendant quelques instants puis ils repartirent. Il nous avait
tout de même invitées à déjeuner au Cercle
Interallié installé dans le Musée Bardo avec un descendant
Rockefeller, dont j'ai oublié le prénom. Nous avions, avec
Soussou , bien gueuletonné, de plus le cadre était merveilleux.
Tout ce monde là sillonnait notre Route, soit en voiture, soit
à pieds. Guite et Alain sont toujours avec nous. Nous promenions
ensemble notre bébé Alain sur la Route. Il affectionnait
particulièrement un lieutenant américain qui s'occupait
de la batterie installée sur la terrasse de la "clinique"
Trainard (partie pour être clinique elle devint couvent). Richard
Wilson le prenait sur ses épaules et lui faisait admirer le paysage
s'en occupant avec beaucoup de tendresse. Nous l'appelions Tchang Kaï
Tcheck car il avait le physique tout à fait asiatique. A la maison,
c'était Mc Laughlin qui était plein d'amour pour Alain,
qui était un enfant très gentil, malin, plein de charmes
et de sourires. McLaughlin espérait savoir ce qu'Alain deviendrait
dans la vie. J'ai retrouvé son nom et son n° de téléphone
à Vancouver en 2003, je voulais lui donner des nouvelles de tout
le monde mais j'ai trop tardé et McLaughlin n'y était plus.
Comme il avait 27 ans en 1943
J'ai trop tardé ! Il avait
dû se marier entre temps s'il avait pu divorcer de sa première
femme. Il était prévu que ce serait avec une Polonaise rencontrée
au Caire et abandonnée peu a près pour cause de guerre.
Il était Officier de l'Armée des Indes et s'était
marié, après avoir pris une cuite mémorable dans
le poste reculé des montagnes indiennes où, avec quelques
comparses, ils avaient bu exagérément. Dans leur déferlement
d'inepties, ils avaient utilisé le poste émetteur, envoyant
des télégrammes de demande en mariage à des filles
de leurs connaissances. Le lendemain, dégrisé, il pria le
Bon Dieu de ne pas recevoir de réponse car il avait envoyé
le télégramme à la plus moche des filles de sa promotion,
celle qu'on appelait "Le Cheval"
Hélas il fut le
seul à recevoir une réponse et à voir débarquer
la personne en question. Le voilà marié (mariage de guerre)
à cause de ce maudit télégramme. En homme d'honneur
il lui fut interdit de se rétracter. Perfides nous lui avons demandé
comment il avait subi sa nuit de noces "un oreiller sur la tête"
nous répondit-il. Depuis il avait demandé le divorce mais
elle refusait. Il lui fallait retourner en Amérique (c'était
une américaine) pour régler cette affaire et épouser
l'autre. Pauvre McLaughlin ! Il était descendant des rois d'Irlande
et portait une chevalière à leurs armes.
Nous nous asseyions le soir sur les marches. Il chantait avec Tante Josette
"St Patrick Day". Tout en humant les parfums d'eucalyptus,
de mimosas et de jasmin, nous passions des soirées à rire
et à chanter "Gentille Alouette". Céline
était avec nous. Quelles heures heureuses avions-nous passées
là et pourtant c'était la guerre. Alain s'exerçait
à la marche devant la maison, avec des chaussures fabriquées
par Maman avec des tombées de velours côtelé et semelles
de feutre. Malgré la pénurie nous riions beaucoup. Il y
a des moments bénis comme cela dans la vie, du moins on s'en souvient
ainsi.
Nous travaillions avec Soussou à l'Association des Evadés
de France. Nous les recevions dans un bureau installé dans un appartement
loué aux noms de MM. Crémieux et Cartier (khan), directeurs
de la SAPVIN de triste mémoire, à la tête d'une magouille
de vins avec la Suisse, bien vite effacée, après la guerre,
car M. Crémieux était le beau-frère de Le Troquer
Ministre ou Président du Conseil du Gouvernement Provisoire de
De Gaulle. Je n'en sais pas plus.
Nous descendions donc tous les jours à Alger après beaucoup
d'aléas. Prenant notre Route pour commencer, arrivant au village,
nous attendions un autobus à gazogène qui venait ou ne venait
pas puis à Châteauneuf, le tramway jusqu'à El-Biar
et le trolley jusqu'à Alger Grande Poste. Nous avions de la chance
lorsque l'Amiral Brocke qui avait remplacé le colonel Gummer à
la maison se déplaçait à la même heure que
nous, de nous faire emmener dans sa Bentley conduite par Ingammel. C'étaient
des jours fastes. Nous trônions, haut perchées sur le siège
arrière, aux côtés de l'Amiral qui commandait la Flotte
anglaise de Méditerranée, et de sa secrétaire française
Annette. La Bentley était jaune et noire reconnaissable entre toutes.
Nous l'appelions "Le Péril Jaune".
L'Association des Evadés de France se transforma en Union des Evadés
de France sous le contrôle des cocos. Nous les saluâmes sans
retour le jour où l'on nous fit le reproche d'arriver ¼
d'heure trop tard. Nous voilà sans travail et de nouveau sur notre
Route. La présence de nos militaires anglais chez nous faisait
que nous faisions beaucoup de progrès en anglais et nous voilà
reparties pour l'aventure. Soussou et moi trouvâmes à employer
nos compétences chez nos chers amis anglais. Période très
heureuse pour nous. Nous travaillions toutes les deux à l'aérodrome
de Maison-Blanche, Soussou avec le pilote d'essais de la base Kalberer
et moi avec le Flying Lieutenant Wearing qui devint plus tard le mari
de notre amie Rosette. Il était le commandant en charge de la "bureautique".
C'était le bon temps ! J'eus la joie de faire un vol d'essai qui
nous mena à faire des tourbillons jusqu'à Tenès à
l'ouest et à la Kabylie à l'est, sans compter le survol
d'Alger à basse et à haute altitude. Je travaillais sur
une grande table en bois blanc formée de deux tréteaux et
des planches dans une "barrack" en tôle ondulée
de forme arrondie. Nous étions trois qui nous entendions bien.
En fin d'après-midi arrivait notre Maltais (aviateur dans la R.A.F.)
qui venait se saisir de tous les doubles, carbones et brouillons. Rien
ne devait traîner et tout était à détruire
par le feu, ce qu'il faisait dans un grand poêle installé
pour ce faire. Notre Maltais était, en dehors de cela, spécialiste
en marché noir : savonnettes, cigarettes, capotes anglaises, etc
jusqu'au jour où il se fit attraper et finit "au
trou" sa carrière d'homme d'affaires
Le 72e Starging Post partant pour le théâtre d'opération,
je fus ramenée en Alger à la direction du "Signal Center"
qui oeuvrait dans les locaux d'une compagnie pétrolière
rue Victor Hugo. Me voilà tombant dans les services du colonel
Burchett.
J'eus la joie de trouver un jour en attendant sur le trottoir d'en face,
mon ami Paulo Ursh. Il était tout beau en aviateur français
mais habillé impeccablement par les Américains chez qui
il venait de faire un stage de six mois de pilotage. Breveté pilote,
il était en permission de trois jours. A l'issue de ce séjour,
il partit faire son premier vol de bombardement, dont il ne revint jamais.
C'est à cette époque que notre amie Rosetteépousa
mon Lieutenant Wearing. Ils firent une grande fête, un beau mariage
de guerre. Rosette devint l'épouse de l'Attaché d'Ambassade
au Danemark. Nous étions très heureuses pour elle car sa
vie n'avait pas été douce jusqu'à présent.
Burchette s'était pris de boisson à cette occasion et ne
se montra pas à la hauteur des circonstances. Il fut même
parfaitement goujat. Et dire que c'est encore lui que je retrouvais comme
commandant le "Signal Center" de l'aérodrome de Rabat-Salé
quand je fus transférée d'Alger à Rabat mais, grâce
au ciel, mon poste fut lié à la "Room Operations":
merveilleux poste et bosses"
Avec ces évocations diverses, je me suis éloignée
de ma Route, pour de bon puisqu'en juin 1945 je partis avec mon équipe
de civils français : quatre filles en tout et un garçon.
J'étais la plus âgée, je venais d'avoir 21 ans, j'avais
le droit de vote et le devoir de voler de mes propres ailes, c'est à
dire gagner ma vie, ce que je faisais depuis deux ans déjà.
Eloignée de ma Route puisque ayant abouti à Rabat, je prenais
la mesure de la responsabilité entière de ma personne. La
guerre en Europe avait été fait l'objet d'un armistice le
8 mai 1945, mais la guerre n'était pas finie avec le Japon. La
bombe atomique d'Hiroshima y mit fin le 15 Août 1945. Pour moi ce
fut la fin de l'aventure. Je fus consciente du soulagement général
mais aussi de la monotonie de la vie qui m'attendait.
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