La Route de l'Observatoire pendant la guerre de 1939-45
Nouvelle page mise sur le site le 2 décembre 2007
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Les "géniales" inventions
d'Achille Croisé
Ce texte, transmis par Gabriel Lambert, est extrait d'un fascicule de 40 pages de souvenirs des familles Croisé et Lambert écrit en 2003 par "Babiche" (Berthe Lambert épouse Ragozin). La propriété Croisé est située Route de l'Observatoire. Les grand-parents de Babiche en sont devenus propriétaires en 1884. Son grand-père Achille Croisé fut calculateur à l'Observatoire, il créa le Village Céleste

Le débarquement des alliés eut lieu un dimanche matin, le 8 novembre 1942. Après avoir vu toutes les barges de débarquement dans la baie de Sidi Ferruch depuis le point de vue de la Tribu au-dessus de l'église où nous étions allées à la messe, nous sommes rentrées dare-dare par notre Route pour attendre la suite des évènements. Nous n'attendîmes pas longtemps. De tous côtés des êtres humains en tenue camouflée, sous des casques garnis de feuillages divers, firent irruption par le chemin Lamari, le ravin et la Route elle-même. Deux descendirent par notre chemin jusqu'à nous ; ils nous demandèrent à boire ce qu'ils firent goulûment au robinet situé sous le lentisque et le chèvrefeuille dont ils emportèrent un brin dans leur feuillage de tête. C'était Petrovitch et Bob Schleyer, qui fréquentèrent, par la suite, la maison, tant qu'ils furent en Algérie (?). D'autres arrivèrent sortant du ravin. Il s'avéra qu'ils faisaient partie des brigades rouges qui s'étaient battus en Espagne dans les rangs des communistes et, de ce fait, sortaient de la prison d'Alcatraz. Ils furent de charmants visiteurs tant qu'ils stationnèrent assez près.
Peu d'années avant la guerre fut érigé sur la crête de notre montagne, juste au-dessus de notre Route et en face de chez nous, un large bâtiment qui devait être une clinique. Hélas! le commanditaire qui était le docteur Trainard d'Alger mourut alors que les travaux n'étaient que très partiellement avancés. Les bâtiments restèrent ainsi quelques années, ils se couvrirent de graffiti à l'intérieur, très pornographiques à mon souvenir.
Pendant la guerre 39-45, les Américains l'occupèrent, installèrent sur la terrasse des mitrailleuses de D.C.A. C'était un endroit idéal car situé sur la crête, le tir des mitrailleuses balayaient l'espace sur 360° ; nous eûmes pendant les raids allemands une défense parfaite, les obus ne nous touchèrent pas, ils tombèrent dans notre jardin et les bombes s'éparpillèrent dans la nature chez la Princesse De Ligne qui avait racheté le Bordj Polignac et chez Mme Trainard veuve du docteur, mais rien sur les maisons ni sur le Village.
Ayant fait la connaissance des deux officiers américains commandant la batterie Charles et Richard Wilson, ils nous permirent de tirer. Nous fîmes un bruit intense pendant un bel après-midi, alors que nul avion ne parcourait le ciel (cet âge est sans pitié), nous dûmes mettre en émoi les populations alentour et cela nous faisait rire!
Les Alliés ! Quelle aventure ! Et c'en fut une qui changea tout le cours de notre vie.
La café maure vu dans mon enfance avait disparu sous le chantier de la clinique, qui devint plus tard, la guerre finie, un monastère de Franciscains où nous prîmes l'habitude d'aller à la messe, Maman y allait même tous les jours, sans pour cela oublier notre curé de Bouzaréa, l'Abbé Suchet d'Albufera, aumônier militaire en même temps.
Alain, né le 13 février 1942, et le débarquement font que Guite n'est pas redescendue à Alger. C'est Roger qui montait, d'abord en autobus, puis quand le débarquement aura eu lieu, il bénéficiera d'une bicyclette anglaise sans dérailleur en 1943 offerte par l'ami Ray Shire pilote d'essai sur l'aérodrome de Maison-Blanche. C'est aussi lui qui offrira à Maman son premier fauteuil, un fauteuil d'avion recouvert de toile bleue de la R.A.F. Il nous donnera aussi, triomphant d'amener les voix de l'extérieur dans une maison qui n'en avait jamais connu les bienfaits, une énorme radio grise émettrice et réceptrice que nous avions trônant près du fauteuil. Tout ce matériel venait du surplus réformés de la R.A.F.
Nous avions donc, dès le début 43, trois officiers britanniques dans nos murs: le commandant Parker, écossais, le capitaine McLaughlin, canadien, et le capitaine Alexander, écossais en kilt, un quatrième viendra un peu plus tard, un gallois Freeman Thomas qui a une belle voix de basse. Ils font partie de l'Etat Major du Général Alexander qui s'est installé dans les locaux de l'Ecole Normale. Le Général Alexander était le commandant en chef des forces alliées en Afrique du Nord. Il avait vaincu Rommel en Lybie et, commandant suprême des Forces Alliées en Italie (septembre 1943 - mai 1945), il conduira la campagne d'Italie et le débarquement de Provence. Ils ont une ordonnance, Peter, écossais, amené par Douglas Parker. Peter était employé comme bûcheron sur les terrains de Douglas en Ecosse.
Ils partaient tous les matins, à pieds ; les jours de presse une voiture venait les chercher pour les emmener à l'Ecole Normale. Notre Route était très fréquentée par toutes sortes de véhicules les Américains préféraient leurs jeeps à la marche. Peter était logé par l'armée qui lui a réquisitionné une chambre dans la propriété Thomaron. Il parcourait ce bout de route et notre chemin à longueur de temps car il était préposé à l'entretien de ses quatre officiers : faire leur lit, leur chambre, cirer leurs chaussures, etc … Il se déclarait heureux de faire ainsi ses mois de guerre, malheureusement, cela ne dura que 6 mois. Puis débarquement en Sardaigne, Sicile et Italie où nous perdions nos compagnons de liesse et de misère. Maman avait accepté de nourrir les quatre officiers le soir. Ils apportaient leur P.X. c'est à dire leurs rations militaires et elle ajoutait les nôtres. Chère Maman ! Quel travail pour arriver à nous nourrir tous. Que de rires et de bonne humeur autour de la grande table de la salle à manger ! Nous leur apprenions à parler français sauf à McLaughlin qui parle et chante, avec tante Josette, "St Patrick Day" et "Gentille alouette". Nous étions interrompus de temps en temps par des bombardiers qui venaient, à la tombée de la nuit, lâcher leurs bombes sur Alger. Guite courait vite dans la salle de bains avec Alain dans les bras et nous, nous restions à la porte-fenêtre à regarder ce festival de balles traçantes lancées par les "rockets" de Fort l'Empereur en particulier. Les bombardiers arrivaient par vagues. Ils réussissaient leur coup quelquefois et même assez souvent pour faire des dégâts. Le port était le plus visé et ils arrivaient à toucher des bateaux qui flambaient comme des torches. Sous nos yeux, au-dessus du port, un avion allemand touché par un "rocket" s'enflamma, se brisa en morceaux qui rutilaient pendant un long moment au-dessus de la mer puis plongeaient, le pilote a tournoyé torche vivante puis est tombé dans les flots. Voir un homme mourir sous ses yeux, bien qu'il soit l'ennemi, est une douleur et, en même temps, on se dit que ce n'était pas notre heure et l'on prie pour ce pauvre diable remerciant le ciel de nous avoir épargnés. Bizarres étaient les sentiments qui nous assaillaient !
Les bombardiers venaient aussi dans la journée, c'est ainsi qu'un train avait sauté, à quai, à Maison-Carrée. Bien que nous étions à environ 20 kms à vol d'oiseau, cela avait fait pas mal de dégâts dans les vitres de la maison, la porte-fenêtre du premier étage avait été soufflée et s'était ouverte à l'envers, des tuiles s'étaient envolées. Des obus étaient tombés dans le jardin, les artificiers en avaient trouvé sept dont l'un avait cassé les branches d'un laurier rose tout près de la maison. Il n'avait pas éclaté.
Cependant avec l'insouciance de la jeunesse nous riions toujours. Il y avait de l'ambiance. Il paraît que le Général Alexander, quand nos locataires arrivaient le matin à l'Etat-Major, disait : "arrêtons la guerre, donnez-moi d'abord des nouvelles des Lambert's sisters". Puis les plans sérieux prenaient leur place. En quelque sorte nous participions au moral des armées.
Dans la journée nous jouions au ping-pong dont la table restait constamment déployée devant la maison. Le hic c'étaient les balles qui n'existaient plus, peut-être au marché noir ou dans certain "foyer du soldat" allié bien entendu. Peter était prié de nous en trouver ce qu'il fit au compte-goutte. Quand nous lui avions déplu, il les remportait. Je ne l'entendais pas de cette oreille et je me battais pour qu'il les restitue : quelques coups de pieds qu'il avait voulu rendre et cela donnait lieu à une poursuite autour de la table Peter criant : "sister, if you kick me, I'll kick you". Soussou se tordait de rire, ce qui calma les antagonistes. Peter était notre souffre-douleur et en même temps nous l'aimions beaucoup et il nous le rendait bien. Quand cela allait trop loin il allait se plaindre auprès de Maman ; mais comme elle ne comprenait pas l'anglais et lui pas le français nous jouissions de l'impunité. Il nous traitait de "Wild garrows" qui veut dire en écossais "filles sauvages".
Il était surtout fâché quand nous osions nous servir de ses balles avec des Américains qu'il ne pouvait pas pifer. Il n'était pas le seul d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, les alliés ne s'entendaient pas entre eux. Jamais il n'y eut de visites chez nous pour jouer ou pour manger des Américains et des Britanniques à la fois. Peter nous espionnait quand les Américains venaient nous rendre visite et faisait des commentaires désagréables sur nos visiteurs.
Je me suis aperçue par la suite que cette antipathie réciproque était très répandue. Les Britanniques et leurs ex-dominions ainsi que ceux du Commonwealth ne s'entendaient pas, surtout les Sud-Africains d'origine Boer. Nous nous sommes bien amusées avec cela à Rabat quand j'avais rejoint ma chère R.A.F... Avec une amie nous nous sommes faites passer pour des journalistes américaines et avions interviewé des Sud-Africains. J'avais gardé le résultat de notre consultation. C'était édifiant quant à la haine qu'ils se portaient … et pourtant "même combat".
Nos chers locataires partaient au bout de quelques mois, ils faisaient partie des unités qui devaient envahir la Sardaigne, la Sicile et l'Italie puis la Provence française. Nous avions des nouvelles de temps en temps, puis plus rien de la part de Sandy ; McLaughlin revint une fois, il passa quelques jours avec Maman. Avant de partir ils se sont réunis pour offrir un souvenir à Maman. Il n'y avait rien dans les boutiques. Ils avaient quand même réussi à dénicher une grande lampe en plâtre verni sur laquelle sont peints des motifs japonais. Elle trônera sur le manteau de la cheminée jusqu'à notre départ en 1962. Sandy ne viendra plus. Douglas continuera à envoyer ses vœux à Maman, puis, lui aussi, la mort l'aura pris bien tôt (je nous croyais oubliés mais non il est mort jeune , comme Sandy, comme bien d'autres).
Freeman Thomas, le gallois, était resté seul du groupe si sympathique. On les remplaça par le colonel Gummer, le capitaine Humphreys. Le colonel Gummer avait perdu un œil dans la bataille de Libye, aussi portait-il un cache noir sur son œil gauche. Il avait représenté l'Angleterre auprès du Négus Haïlé Sélassié qui lui avait offert, en remerciement pour son aide, un tableau (sorte de toile cirée) exécuté par son peintre personnel représentant "Le Paradis Perdu". Il en avait fait présent à Maman. Il est maintenant chez Nathalie.
Ces trois là étaient moins rigolos que les précédents. Humphreys en particulier qui s'honore de ne jamais avoir quitté son pays. Un sacré handicap à mon avis. Freeman était amoureux ailleurs. Il amena un jour chez nous une très belle personne en tenue militaire, très distinguée. Il la recevait dans sa chambre pendant quelques instants puis ils repartirent. Il nous avait tout de même invitées à déjeuner au Cercle Interallié installé dans le Musée Bardo avec un descendant Rockefeller, dont j'ai oublié le prénom. Nous avions, avec Soussou , bien gueuletonné, de plus le cadre était merveilleux.
Tout ce monde là sillonnait notre Route, soit en voiture, soit à pieds. Guite et Alain sont toujours avec nous. Nous promenions ensemble notre bébé Alain sur la Route. Il affectionnait particulièrement un lieutenant américain qui s'occupait de la batterie installée sur la terrasse de la "clinique" Trainard (partie pour être clinique elle devint couvent). Richard Wilson le prenait sur ses épaules et lui faisait admirer le paysage s'en occupant avec beaucoup de tendresse. Nous l'appelions Tchang Kaï Tcheck car il avait le physique tout à fait asiatique. A la maison, c'était Mc Laughlin qui était plein d'amour pour Alain, qui était un enfant très gentil, malin, plein de charmes et de sourires. McLaughlin espérait savoir ce qu'Alain deviendrait dans la vie. J'ai retrouvé son nom et son n° de téléphone à Vancouver en 2003, je voulais lui donner des nouvelles de tout le monde mais j'ai trop tardé et McLaughlin n'y était plus. Comme il avait 27 ans en 1943 …J'ai trop tardé ! Il avait dû se marier entre temps s'il avait pu divorcer de sa première femme. Il était prévu que ce serait avec une Polonaise rencontrée au Caire et abandonnée peu a près pour cause de guerre. Il était Officier de l'Armée des Indes et s'était marié, après avoir pris une cuite mémorable dans le poste reculé des montagnes indiennes où, avec quelques comparses, ils avaient bu exagérément. Dans leur déferlement d'inepties, ils avaient utilisé le poste émetteur, envoyant des télégrammes de demande en mariage à des filles de leurs connaissances. Le lendemain, dégrisé, il pria le Bon Dieu de ne pas recevoir de réponse car il avait envoyé le télégramme à la plus moche des filles de sa promotion, celle qu'on appelait "Le Cheval"… Hélas il fut le seul à recevoir une réponse et à voir débarquer la personne en question. Le voilà marié (mariage de guerre) à cause de ce maudit télégramme. En homme d'honneur il lui fut interdit de se rétracter. Perfides nous lui avons demandé comment il avait subi sa nuit de noces "un oreiller sur la tête" nous répondit-il. Depuis il avait demandé le divorce mais elle refusait. Il lui fallait retourner en Amérique (c'était une américaine) pour régler cette affaire et épouser l'autre. Pauvre McLaughlin ! Il était descendant des rois d'Irlande et portait une chevalière à leurs armes.
Nous nous asseyions le soir sur les marches. Il chantait avec Tante Josette "St Patrick Day". Tout en humant les parfums d'eucalyptus, de mimosas et de jasmin, nous passions des soirées à rire et à chanter "Gentille Alouette". Céline était avec nous. Quelles heures heureuses avions-nous passées là et pourtant c'était la guerre. Alain s'exerçait à la marche devant la maison, avec des chaussures fabriquées par Maman avec des tombées de velours côtelé et semelles de feutre. Malgré la pénurie nous riions beaucoup. Il y a des moments bénis comme cela dans la vie, du moins on s'en souvient ainsi.
Nous travaillions avec Soussou à l'Association des Evadés de France. Nous les recevions dans un bureau installé dans un appartement loué aux noms de MM. Crémieux et Cartier (khan), directeurs de la SAPVIN de triste mémoire, à la tête d'une magouille de vins avec la Suisse, bien vite effacée, après la guerre, car M. Crémieux était le beau-frère de Le Troquer Ministre ou Président du Conseil du Gouvernement Provisoire de De Gaulle. Je n'en sais pas plus.
Nous descendions donc tous les jours à Alger après beaucoup d'aléas. Prenant notre Route pour commencer, arrivant au village, nous attendions un autobus à gazogène qui venait ou ne venait pas puis à Châteauneuf, le tramway jusqu'à El-Biar et le trolley jusqu'à Alger Grande Poste. Nous avions de la chance lorsque l'Amiral Brocke qui avait remplacé le colonel Gummer à la maison se déplaçait à la même heure que nous, de nous faire emmener dans sa Bentley conduite par Ingammel. C'étaient des jours fastes. Nous trônions, haut perchées sur le siège arrière, aux côtés de l'Amiral qui commandait la Flotte anglaise de Méditerranée, et de sa secrétaire française Annette. La Bentley était jaune et noire reconnaissable entre toutes. Nous l'appelions "Le Péril Jaune".
L'Association des Evadés de France se transforma en Union des Evadés de France sous le contrôle des cocos. Nous les saluâmes sans retour le jour où l'on nous fit le reproche d'arriver ¼ d'heure trop tard. Nous voilà sans travail et de nouveau sur notre Route. La présence de nos militaires anglais chez nous faisait que nous faisions beaucoup de progrès en anglais et nous voilà reparties pour l'aventure. Soussou et moi trouvâmes à employer nos compétences chez nos chers amis anglais. Période très heureuse pour nous. Nous travaillions toutes les deux à l'aérodrome de Maison-Blanche, Soussou avec le pilote d'essais de la base Kalberer et moi avec le Flying Lieutenant Wearing qui devint plus tard le mari de notre amie Rosette. Il était le commandant en charge de la "bureautique". C'était le bon temps ! J'eus la joie de faire un vol d'essai qui nous mena à faire des tourbillons jusqu'à Tenès à l'ouest et à la Kabylie à l'est, sans compter le survol d'Alger à basse et à haute altitude. Je travaillais sur une grande table en bois blanc formée de deux tréteaux et des planches dans une "barrack" en tôle ondulée de forme arrondie. Nous étions trois qui nous entendions bien. En fin d'après-midi arrivait notre Maltais (aviateur dans la R.A.F.) qui venait se saisir de tous les doubles, carbones et brouillons. Rien ne devait traîner et tout était à détruire par le feu, ce qu'il faisait dans un grand poêle installé pour ce faire. Notre Maltais était, en dehors de cela, spécialiste en marché noir : savonnettes, cigarettes, capotes anglaises, etc … jusqu'au jour où il se fit attraper et finit "au trou" sa carrière d'homme d'affaires…
Le 72e Starging Post partant pour le théâtre d'opération, je fus ramenée en Alger à la direction du "Signal Center" qui oeuvrait dans les locaux d'une compagnie pétrolière rue Victor Hugo. Me voilà tombant dans les services du colonel Burchett.
J'eus la joie de trouver un jour en attendant sur le trottoir d'en face, mon ami Paulo Ursh. Il était tout beau en aviateur français mais habillé impeccablement par les Américains chez qui il venait de faire un stage de six mois de pilotage. Breveté pilote, il était en permission de trois jours. A l'issue de ce séjour, il partit faire son premier vol de bombardement, dont il ne revint jamais.
C'est à cette époque que notre amie Rosetteépousa mon Lieutenant Wearing. Ils firent une grande fête, un beau mariage de guerre. Rosette devint l'épouse de l'Attaché d'Ambassade au Danemark. Nous étions très heureuses pour elle car sa vie n'avait pas été douce jusqu'à présent. Burchette s'était pris de boisson à cette occasion et ne se montra pas à la hauteur des circonstances. Il fut même parfaitement goujat. Et dire que c'est encore lui que je retrouvais comme commandant le "Signal Center" de l'aérodrome de Rabat-Salé quand je fus transférée d'Alger à Rabat mais, grâce au ciel, mon poste fut lié à la "Room Operations": merveilleux poste et bosses"…
Avec ces évocations diverses, je me suis éloignée de ma Route, pour de bon puisqu'en juin 1945 je partis avec mon équipe de civils français : quatre filles en tout et un garçon. J'étais la plus âgée, je venais d'avoir 21 ans, j'avais le droit de vote et le devoir de voler de mes propres ailes, c'est à dire gagner ma vie, ce que je faisais depuis deux ans déjà. Eloignée de ma Route puisque ayant abouti à Rabat, je prenais la mesure de la responsabilité entière de ma personne. La guerre en Europe avait été fait l'objet d'un armistice le 8 mai 1945, mais la guerre n'était pas finie avec le Japon. La bombe atomique d'Hiroshima y mit fin le 15 Août 1945. Pour moi ce fut la fin de l'aventure. Je fus consciente du soulagement général mais aussi de la monotonie de la vie qui m'attendait.


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